samedi 14 février 2015

Qui a le droit de critiquer le corps médical (ou les CHU...) ?

Souvent, quand un.e citoyen.ne critique la profession médicale, il ou elle s'entend dire : "Vous n'avez pas le droit de parler, vous n'y connaissez rien, vous n'êtes pas médecin." Cette "objection" n'est pas réservée aux non-médecins : on la sert régulièrement aux professionnels de santé qui tentent de dénoncer certains comportements. Sous des formes diverses et variées. 

À l’époque où je suis devenu un écrivain-médecin connu et où j’ai donc commencé à m’exprimer publiquement, c’était  : « Vous êtes médecin ? Vraiment ? Et vous exercez ? Ah oui, seulement à temps partiel ! » 
Plus tard, j'ai souvent entendu : 
« Bon, mais est-ce que vous pratiquez encore la médecine ? » 

Aujourd'hui, c'est : "Depuis quand n'avez vous plus pratiqué la médecine ?" (Ou même "Mais vous ne vivez plus en France !") 

Toutes ces formulations sont équivalentes. Elles signifient : « De quel droit nous critiquez-vous, alors que vous n’êtes pas (ou plus) des nôtres ? Vous ne savez pas en quoi consiste notre travail ! Vous n’avez pas le droit de nous juger ! Vous n’êtes pas - ou, dans mon cas, vous n'êtes plus - un vrai médecin. » 

Le caractère fallacieux de ces "reproches" est évident : nombre de responsables des syndicats ou de l'Ordre ne sont pas ou plus en activité depuis longtemps. Et je ne parle pas des députés, des conseillers de ministres, ou des ministres eux-mêmes, qui n'hésitent pourtant pas à invoquer leur formation professionnelle à l'appui de leurs déclarations ou de leurs actes. Quand est-on un "vrai" médecin ? Bien malin qui pourra le dire. Mais là n'est pas vraiment la question. 

Car l’objectif de ces reproches est clair : il consiste à disqualifier les interpellations, au prétexte que l'activité professionnelle du critique serait « insuffisante » pour que celui-ci soit crédible. Les personnes qui les adressent oublient seulement une chose : pour s’élever contre le comportement des institutions médicales ou de certains de leurs membres, il n’est pas nécessaire d'être médecin. Pas plus qu’il n’est nécessaire d’être politicien, policier, avocat, enseignant ou militaire pour énoncer des critiques vis-à- vis de ces figures d’autorité – ou des institutions qu’ils représentent.

Dans un pays qui se dit démocratique, tout citoyen (médecin ou non) est en droit de critiquer le comportement inacceptable d'une profession réputée répondre aux besoins de la population. 

Pour ma part, ce n’est jamais en « confrère » que je m’exprime pour adresser mes critiques, mais bien en citoyen – c’est-à-dire en tant que parent, conjoint, ami, fils, frère de patients, et patient lui-même. Ma « légitimité » n’est pas plus discutable que si je posais des questions embarrassantes au conseil municipal de ma ville. 

En revanche, la violence avec laquelle certains médecins s’efforcent de faire taire ou de traiter par le mépris toute critique, qu’elle vienne de l’intérieur ou de l’extérieur de la profession, en dit long sur leur absence de sens démocratique. Ce type d'argument visant à "excommunier" ou tout simplement à "punir" les médecins qui critiquent la profession est représentatif d'un comportement de caste élitaire, de club privé (et même, à certains égards, de secte). Les clubs privés ne tolèrent aucune critique, ni de la part de ses membres, ni de ceux qui n'en font pas partie. 

Ce qui conduit à la question : le corps médical est-il en droit de fonctionner comme un club privé, dans un pays où la fonction du médecin consiste, d'abord, à s'insérer dans un système de santé publique ? Les citoyens ne sont-ils pas, eux, en droit de s'interroger - et d'interpeller les professionnels - sur des sujets aussi importants que le comportement individuel des médecins et les maltraitances que certains font subir aux patient(e)s sous leur responsabilité, leurs prises de position, les méthodes et l'idéologie de la formation en faculté de médecine, les liens des médecins à l'industrie, les conflits d'intérêt... ? 

Plus simplement : les citoyens ne sont-ils pas en droit de définir eux-mêmes à quel "genre" de médecins ils veulent pouvoir confier leurs problèmes de santé ?  

Marc Zaffran/Martin Winckler 

PS : Dans ce billet, si l'on remplace "corps médical" par "CHU", les remarques restent valides. Que l'institution critiquée soit informelle et hétérogène (le corps médical) ou hyper-formalisée et tout aussi hétérogène (les CHU, leur hiérarchie, leur administration, leurs luttes de pouvoirs entre certains patrons qui se prennent pour des marquis, le mépris rampant envers la médecine générale et tout ce qui n'est pas PUPH, l'élitisme de certains enseignants à qui l'on confie la formation des étudiants, etc.), la critique n'est pas moins valide quand elle vient d'une voix extérieure. Celle des patients, par exemple. 

Malheureusement, ce qui pose souvent problème,  c'est que ceux qui sont à l'intérieur et ont le sentiment (à tort ou à raison) d'y travailler de leur mieux ne soient pas toujours capables d'entendre ces critiques, et les prennent comme des atteintes personnelles, voire comme des insultes. 

Savoir s'individualiser, se différencier de l'institution dans laquelle on travaille, en reconnaître les défauts et accepter d'entendre les critiques qui lui sont portées, n'est-ce pas pourtant le début de la réflexion ? Apparemment, pas pour tout le monde. 

Sur un mode plus ludique, les internautes intéressé.e.s liront "La tirade des CHU", écrite à cette occasion. 



lundi 9 février 2015

Une stérilisation n'est jamais une décision prise à la légère, quoi qu'en pensent certains médecins

Quelles questions un médecin doit-il poser à une femme qui demande une stérilisation ? 

En principe, le médecin n'est pas censé poser la moindre question ! La stérilisation volontaire est légale en France depuis 2001. Le seul critère restrictif, c'est le délai de réflexion de 4 mois. Il n'y a pas de raison de croire que les femmes qui en font la demande n'ont pas déjà mûrement réfléchi. Et quand une femme refait sa demande au bout de quatre mois, il est encore moins justifié de douter qu'elle y a réfléchi. Même s'il s'agit d'une femme de moins de trente ans, sans enfant.
(Lire ce que dit de la stérilisation le site choisirsacontraception.fr, site français officiel géré par le Ministère de la santé et l'INPES - Institut National de Prévention et d'Education Sanitaire).

La demande de stérilisation n'est pas une décision qu'on prend à la légère. Et il n'est pas plus "grave" de prendre cette décision-là que celle d'avoir un enfant, tout aussi "définitive" – et qui met en jeu la vie de deux autres personnes au moins : le partenaire et l'enfant. La décision de stérilisation ne concerne que soi, et ne devrait subir aucun jugement de la part de quiconque. Parfois, pourtant, on a le sentiment que certains médecins réagissent à une demande de stérilisation comme s'il s'agissait de les stériliser eux/elles, leurs sœurs, leurs épouses ou leurs filles. Donc, de manière extrêmement paternaliste. Ils oublient que les femmes et leurs choix de vie n'appartiennent pas aux médecins...

Dans quels cas une stérilisation est-elle déconseillée ? Quels sont les risques ? 

Ce sont les risques de l'anesthésie générale, les complications de la laparoscopie - qui sont rares, mais existent. (NB : La méthode Essure, qui consistait à insérer des implants dans les trompes, n'est plus autorisée en France, en raison de nombreux effets secondaires.)

On la déconseille aussi en situation de stress (après un événement traumatisant, un divorce, une rupture, une grossesse difficile) et, chez les femmes n'ayant pas eu d'enfant, avant 30 ans, car le risque de regret semble un peu plus élevé. (voir plus bas)

Il faut également préciser aux femmes que les méthodes de stérilisation sont (globalement, toutes méthodes incluses) un peu moins efficaces avant 30 ans qu'un DIU (stérilet au cuivre), un SIU (Mirena) ou un implant hormonal (Nexplanon) : il y a des échecs et des rejets avec le système Essure, des reperméabilisations spontanées après ligature - avec parfois des grossesses extra-utérines, car la trompe est assez perméable pour le passage des spermatozoïdes, mais pas pour le passage de l'oeuf fécondé dans l'autre sens.

Mais ces notions n'autorisent pas à refuser une stérilisation, puisque c'est la femme qui choisit ; une femme peut parfaitement, en choisissant une contraception, préférer un diaphragme à un DIU malgré la moindre efficacité du premier, et c'est son droit. Elle est de même en droit de préférer une ligature à un DIU malgré le risque un peu plus élevé d'échec avant 30 ans.

Pourquoi la demande de stérilisation provoque-t-elle des réticences si fortes de la part du corps médical ? Pourquoi est-elle si méconnue des femmes?

Culturellement, en France, la stérilisation n'est pas respectée en tant que décision libre. Et encore moins quand la demande vient d'une femme (qui, on le sait, n'est jamais prise au sérieux aussi souvent qu'un homme).
Elle a longtemps été interdite par la loi, mais elle était cependant pratiquée sous le manteau depuis toujours, soit par intérêt (les médecins la faisaient payer très cher), soit par "collusion de classe" (les femmes riches n'avaient aucun mal à obtenir une ligature), soit parce que les médecins en prenaient l'initiative (de quoi je me mêle !!!) soit encore parce qu'elle était imposée – aux personnes souffrant de maladies mentales, jusque dans les années cinquante, et aux personnes handicapées jusque dans les années 90 et parfois même à des femmes qui avaient eu plusieurs césariennes, sans qu'elles en soient prévenues ! (J'ai eu plusieurs témoignages de cet ordre parmi les femmes que j'ai soignées.)
Donc, jusqu'en 2001, les médecins stérilisaient (ou non) qui ils voulaient. Aujourd'hui, ils se retrouvent dans une situation où la loi dit qu'ils doivent stériliser tout adulte capable qui le demande, et non selon leur bon plaisir. Et beaucoup considèrent qu'ils sont au-dessus de la loi, et n'hésitent pas à refuser.

L'idéologie médicale dominante veut que les femmes soient "faites pour avoir des enfants" ; ajoutez à cela la prééminence d'une approche psychanalytique sauvage généralisée, qui laisse entendre que tout patient (et surtout les femmes, bien sûr...) "est le jouet de son inconscient et de ses pulsions paradoxales". Ce type de préjugé ou d'idée préconçue arbitraire "autorise" beaucoup de médecins à accueillir une demande de stérilisation avec une grande hostilité, quelles que soient les circonstances. 

Les praticiens qui renvoient aux femmes leur "désir inconscient" semblent 1° tout savoir de l'inconscient des femmes ; 2° ignorer qu'ils ont un inconscient, eux aussi ; 3° ignorer que leur inconscient a des préjugés... 

L'argument "psychanalytique" ne tient donc pas debout, jamais. Nul ne sait ce qui se passe dans la tête d'une personne, sauf parfois cette personne elle-même. Par conséquent, il n'est pas acceptable de refuser à cette personne un choix de vie légitime et légal à partir de présuppositions arbitraires, et probablement guidées par les propres choix et désirs (inconscients ou non) des "praticiens".

Il ne semble pas y avoir de gradation à cet égard : que la demande vienne d'une femme de 40 ans, qui a eu plusieurs enfants, plusieurs IVG et en a marre de courir le risque d'être enceinte, ou d'une femme jeune qui a décidé, une fois pour toutes, qu'elle n'aurait pas d'enfant, nombreux sont les gynécologues qui refusent absolument. Je les soupçonne cependant d'avoir une attitude à géométrie variable et d'être relativement accommodants si la demande vient d'une amie, de l'épouse ou de la fille d'un confrère ou d'un autre notable. J'ai aussi entendu des gynécologues dire qu'on "devrait éviter à certaines de faire des enfants" en parlant, par exemple, de femmes migrantes originaires du Maghreb, de femmes antillaises ou de femmes d'origine africaine. 

Tout ça n'est pas la résultante d'une attitude professionnelle ou scientifique, mais d'une posture de classe, toujours sexiste et très souvent raciste. Cette attitude dépasse la simple question de la stérilisation et porte aussi sur les préférences sexuelles, l'identité de genre, les demandes de transition, les choix de contraception, le désir de grossesse après 40 ans, etc.

Si les méthodes (et la possibilité) de stérilisation sont méconnues c'est parce qu'on ne les propose pas, ou qu'on les refuse à celles qui en connaissent l'existence. Je ne compte pas le nombre de femmes qui m'ont écrit, ces quinze dernières années, pour me dire que leur gynéco avait répondu à leur demande de stérilisation : "C'est interdit par la loi et je ne veux pas être poursuivi." Ce qui est un double mensonge : la loi l'autorise depuis 2001 et on ne peut pas poursuivre un gynécologue pour une intervention qu'on a soi-même demandée (avec signature à l'appui) !

Ces mensonges sont non seulement scandaleux mais inutiles : si un médecin ne veut pas pratiquer une ligature de trompes, il peut simplement dire non. Mais il n'a pas à harceler, juger, insulter, houspiller, dissuader ou mentir à la femme qui la demande. Les attitudes jugeantes et humiliantes sont anti-professionnelles et contraires à la déontologie, mais elles sont monnaie courante. Tout se passe comme si les médecins qui agissent ainsi pensaient qu'ils sont mieux placés que ces femmes pour décider de ce qui est bon pour elles. C'est ce qu'on appelle du paternalisme médical.

Quelle variété de profils rencontre-t-on chez les patientes qui demandent une stérilisation ? Le profil "militant" en représente-t-il une part importante? Toutes les catégories sociales sont-elles représentées?

Il n'y a pas de profil. On n'a pas à "profiler" les patient(e)s, quelle que soit leur demande. Chaque histoire est unique même si elle a des points communs avec beaucoup d'autres.

J'ai vu des femmes de tous les âges et de tous les milieux demander une stérilisation. Les plus nombreuses dans mon expérience sont celles qui ont eu plusieurs grossesses, des IVG, des échecs de contraception nombreux, des grossesses difficiles, parfois également une situation économique précaire. Souvent, elles ont eu plusieurs enfants avant 30 ans. Elles n'en veulent pas d'autre et elles ne veulent pas courir le risque d'un nouvel échec contraceptif (et d'une IVG, qui pour certaines femmes reste moralement pénible). 

Elles savent parfaitement ce qu'elles font et elles voient la stérilisation comme un soulagement. Leur frustration et leur colère est grande quand on la leur refuse systématiquement, sans raison valable (puisqu'il n'y en a pas), ou en invoquant des raisons ineptes, en les humiliant ou en leur faisant la morale, de surcroît.

J'ai vu plus rarement des femmes jeunes (moins de 30 ans) qui voulaient une stérilisation parce qu'elles ne voulaient pas avoir d'enfant. Jamais. Et c'était une décision ancienne, qui ne résultait pas d'un traumatisme ou d'une jeunesse difficile, mais d'un choix personnel – et souvent moral – très clair. Elles aussi savaient ce qu'elles voulaient, et je ne comprends pas pourquoi on le leur refuserait, ni pourquoi on les soupçonnerait de "n'avoir pas réfléchi" – alors qu'on ne demande jamais à une femme du même âge qui met une grossesse en route si elle a "bien réfléchi".

Quant au "militantisme", je ne vois pas en quoi il serait particulièrement "militant" de vouloir disposer de son corps librement. Les femmes en ont le droit comme les hommes. Elles ne devraient pas avoir à justifier de ne pas ou plus vouloir être enceintes/avoir des enfants. Ce n'est pas du militantisme, c'est l'exercice d'un droit fondamental : la liberté qui consiste à faire ce qu'on veut de sa vie. 

Des femmes de toutes les classes sociales demandent des stérilisations, mais pas au même âge : statistiquement, plus la femme est originaire d'une classe sociale défavorisée, plus tôt elle a eu des enfants et plus tôt elle demande une stérilisation. Or, comme à l'époque où l'IVG était interdite, il est beaucoup plus facile à une femme de classe favorisée d'obtenir une stérilisation. C'est donc plus souvent aux femmes les plus défavorisées et qui ont aussi le plus de grossesses potentielles devant elles qu'on les refuse !!! L'iniquité du refus se double donc d'une injustice sociale criante.

Quelles est la proportion de femmes regrettant l'opération?

Pour la stérilisation en général : les enquêtes faites dans les pays où ça se pratique montrent que les deux situations le plus susceptibles de provoquer des regrets ultérieurs sont
- une stérilisation avant 30 ans pour une femme n'ayant pas d'enfant
- une stérilisation demandée (ou "fortement" suggérée par le médecin, ça arrive !) juste après une césarienne ou un événement brutal de la vie (rupture, divorce, par exemple).
Dans ces cas-là, il est justifié de conseiller aux femmes d'attendre. Passé 30 ans et plusieurs mois après l'événement qui a déclenché la demande, cette justification n'existe plus. Mais si une femme de moins de trente ans persiste dans sa demande, rien n'autorise à refuser ou à repousser la décision. C'est sa vie !!! 

D'après les enquêtes en Scandinavie et aux Etats-Unis (étude CREST), la proportion moyenne des femmes qui regrettent leur stérilisation, vingt ans plus tard, est inférieure à 10%. Elle est un peu plus importante chez les femmes citées plus haut, ce qui veut donc dire que parmi la majorité des demandeuses, elle est plus faible… De toute manière, cette proportion ne justifie pas de refuser l'intervention, elle justifie seulement de bien expliquer aux femmes les circonstances dans lesquelles le risque de regret est le plus élevé. Et d'accepter leur décision, car il s'agit de leur vie.

La stérilisation, malgré son caractère définitif, laisse-t-elle possibilité à une PMA ? Les ovocytes peuvent-ils être conservés?

Rien ne s'oppose à ce qu'on recoure à une PMA plusieurs années après qu'on a subi une ligature de trompes autrefois. Il n'est pas nécessaire de conserver les ovocytes : l'ovaire n'est pas altéré par une ligature ou la méthode Essure. Après les ligatures par pose de clip, une réparation des trompes est possible, même si les réussites (grossesse normale après réparation) sont peu nombreuses. Mais la proportion de femmes qui regrettent étant faible, l'argument de certains médecins disant "Je ne veux pas que vous reveniez me demander une réparation dans dix ans" ne tient pas debout : un médecin n'a pas à "accorder" ou "refuser" son aide en fonction de ce qu'il imagine que le patient voudra dans dix ans ! La vie est longue et compliquée, et il n'est pas interdit, par exemple, à une femme qui a eu une ligature de trompes, d'adopter un enfant. Alors on ne voit pas pourquoi il serait moralement "répréhensible" de demander une PMA quinze ou vingt ans après une stérilisation. Le jugement moral, ici encore, est arbitraire, et reflète beaucoup plus les "valeurs" (et surtout les préjugés) des médecins que la réalité très complexe de la situation.

Une femme qui se fait poser des implants mammaires peut très bien, cinq ans plus tard, demander qu'on les lui retire et je ne crois pas que les médecins qui les leur posent mettent en avant le fait qu'elles "pourraient changer d'avis". Alors on ne voit pas pourquoi il serait interdit à une femme qui s'est fait ligaturer les trompes de changer d'avis : l'enjeu est, toutes proportions gardées, bien plus important.

On en revient toujours à la même chose : les objections émises (par les médecins ou par les non-médecins) sont toujours émotionnelles et idéologiques, et non rationnelles. Venant d'un membre de l'entourage, ça n'a pas grande incidence. Venant d'un médecin, c'est extrêmement problématique, et ça ne doit pas être accepté.

Marc Zaffran/Martin Winckler

Pour en savoir plus (et trouver des adresses de médecin qui pratiquent la stérilisation féminine ou masculine), lire cet article.


mercredi 4 février 2015

Examens gynécologiques, étudiants et consentement des patientes : les pays "pudibonds" et la France...



Le General Medical Council britannique a énoncé en 19962001 et 2013 des recommandations de bonnes pratiques pour les examens gynécologiques. Comme on le verra en consultant ces courts documents, les mises à jour successives sont de plus en plus précises, et prévoient même la présence d'un tiers pendant un examen gynéco - soit un professionnel de santé, soit un.e accompagnant.e pour éviter tout malentendu. Le cas des étudiants et des examens gynécologiques sous anesthésie est clairement abordé et on y souligne que le consentement (qui ne doit être ni forcé ni contraint) doit être obtenu par écrit.

En 2003, un article du Journal of American Medical Women's Association envisageait sous le double aspect éthique et juridique l'inacceptabilité des examens gynécologiques sous anesthésie. Le titre "Unauthorized practices" (pratiques interdites) était clair.

De son côté, la société des GynObs du Canada a publié en 2006 (mise à jour 2010) un texte très détaillé sur la question des examens gynécologiques par les étudiants en médecine. Là encore, la question de l'examen sous anesthésie y est abordée en détail, et la question du consentement n'est ni éludée ni expédiée.
A noter que le texte de 2006 a été révisé en 2010 à la suite d'une tribune dans le Globe and Mail. Au Canada, quand quelqu'un écrit dans un journal qu'une attitude médicale n'est pas conforme à l'éthique, les sociétés de médecins prennent leurs responsabilités et édictent des recommandations en conséquence. Ces gens-là sont vraiment rétrogrades...


Les Scandinaves, eux recommandent l'enseignement avec des "patientes professionnelles" (autrement dit : volontaires, contractuelles et rémunérées), qu'ils considèrent comme plus efficace sur le plan pédagogique.

A Anvers (ville très très lointaine de Paris), c'est la même chose...  Auparavant, ils ne s'entraînaient pas avec des patient(e)s volontaires, mais avec des mannequins. L'entraînement sur des patient(e)s endormi(e)s ne semble pas être une option depuis belle lurette.


Pendant ce temps, en France, le président du syndicat des gynécologues-obstétriciens français, Bernard Hédon, déclare sans rire à propos du même consentement :

"C’est aller trop loin dans la pudibonderie ! Après 40 ans d’expérience, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de faire signer un papier avant cet examen. Le corps médical est très respectueux des patients.  "

POur M. Hédon, le respect du consentement est donc de la pudibonderie. C'est bon de le savoir.


Quant à la doyenne de la faculté de médecine de Lyon elle déclare :
«On pourrait effectivement demander à chaque personne l’accord pour avoir un toucher vaginal de plus mais j’ai peur qu’à ce moment-là, les patientes refusent.»
Et là, on mesure les lacunes éthiques insondables de Mme la Doyenne. Tout le propos du consentement, c'est précisément que les patients ONT LE DROIT de refuser. Et qu'en obtenant (ou non) leur consentement, on s'assure qu'ils ont pu exercer ce droit LIBREMENT !!!!

On notera cependant que tous les médecins français ne sont pas du même avis, et que les étudiants ne trouvent pas ça "normal", comme le montre cet article tout chaud de "www.pourquoidocteur.fr"

Par ailleurs, un excellent article de Karim (sur Twitter : @KarimIBZT) permet d'affirmer fermement que les TV sous AG sans consentement ne sont pas du tout un fantasme (le CHU de Nantes a fait une enquête à ce sujet) et sont, légalement, assimilables à un viol (avis juridiques multiples).

Qu'on se le dise !

MW

mardi 3 février 2015

Le déni est-il une attitude professionnelle/une posture éthique ?


Des journalistes, alertés par des étudiants, soulèvent la question épineuse suivante : Est-ce que, dans les CHU français, on "enseigne" l'examen gynécologique ou l'examen prostatique en suggérant (ou en demandant) aux étudiants de le pratiquer sur des patient.e.s endormi.e.s au bloc opératoire ?   

La question est soulevée d'une part, parce que cette pratique a été évoquée par plusieurs blogs de jeunes médecins ; d'autre part, parce qu'une recherche google a "fait apparaître" un document de la faculté de médecine de Lyon qui semble indiquer clairement que cette pratique existe – ou a existé dans un passé très proche… l'Internet n'est pas si vieux.

Les journaux évoquent la question et reçoivent, en retour, une volée de protestations, non seulement de la part de l'Ordre des médecins, mais aussi des auteurs du document et, c'est plus curieux, de médecins tout venant, qui crient haut et fort que ces accusations sont "n'importe quoi" et que ce genre de pratique n'a jamais eu lieu. 

Aujourd'hui, j'aimerais revenir sur les réactions assez violentes que cette "nouvelle" a produites.

La question que je veux aborder ici n'est pas de savoir si ça se produit (ça ne paraît pas douteux, les témoignages sont trop nombreux), ni si c'est acceptable (personnellement, je pense que ça ne l'est pas, et je ne suis pas tout à fait seul à le penser ) mais celle des réactions de déni, des levées de bouclier – voire de la violence à l'égard de celles et ceux qui en parlent.

Quelques réflexions : 

Tout témoignage est digne d'être entendu, même s'il est isolé ; si l'on n'accepte pas de recevoir ce qu'un.e patient.e ou un.e étudiant.e raconte avoir vu ou subi, ce refus équivaut à dire : "Je n'ai pas assisté personnellement à ces faits, par conséquent ils n'existent pas." C'est intellectuellement médiocre et moralement indéfendable. Le monde existe en dehors de notre perception individuelle – et une attitude de raison (scientifique) ne consiste jamais à balayer une affirmation du revers de la main, mais à l'examiner avec soin - et bien sûr à la questionner. Ne pas le faire équivaut à répondre à un patient qui nous dit qu'il a mal à la poitrine "Ce n'est pas vrai, l'électrocardiogramme dit que vous n'avez rien." Ce n'est pas seulement de l'incompétence, c'est aussi un signe de grande bêtise.

Un témoignage isolé peut ne pas avoir de portée générale, mais plusieurs témoignages indépendants sont une forte incitation à se poser de sérieuses questions. Dans le cas qui nous occupe, les étudiants eux-mêmes témoignent de ces pratiques, dans plusieurs régions de France. Certains, d'ailleurs, les trouvent "normales" en arguant que "Il faut bien apprendre" ou encore que "C'est pas grave puisque les patients ne le savent pas." Ce seul fait impose à celles et ceux qui ignorent (ou ne veulent pas croire) à ces pratiques de les examiner soigneusement. Et à se positionner à leur égard : si elles existent, sont-elles acceptables ?

Même si ces pratiques n'existaient pas, il serait indispensable de prendre position pour ou contre. Et d'argumenter sa position. Il ne suffit pas de dire "Non, c'est pas vrai" (ou comme l'Ordre, inénarrable : "C'est éthiquement impossible, tout le monde le dénoncerait…" – Ben voyons !). Face à une pratique scandaleuse (elle l'est assurément, puisque les offusqués sont scandalisés qu'on dise qu'elle existe !!!), chacun doit dire quelque chose comme (par exemple) "Je ne sais pas si ça existe mais je pense que ça pourrait être justifié pour telle ou telle raison" ou "Je suis révolté à l'idée que ça puisse exister et je vais faire tout en œuvre pour que ça ne se produise pas (dans ma fac/mon département/mon lieu d'exercice). Et les différents points de vue doivent donner lieu à un débat – professionnel, éthique, public. (Il s'agit ici du respect de l'autonomie et de l'intimité des patients, non de la protection de l'image des médecins, rappelons-le…)

Etre un professionnel de santé, c'est être constamment confronté à des interrogations éthiques. Sur sa pratique personnelle mais aussi sur la pratique des autres professionnels, la manière dont on enseigne le soin, la manière dont on parle aux patients. C'est donc avoir une opinion éthique sur les pratiques réelles ou supposées de la profession. Pour un professionnel de santé, rester indifférent n'est pas une option, pas plus que le serait le fait de rester indifférent à toute autre pratique qui rejaillit sur la crédibilité de sa pratique ou de celle de ses collègues.

Par exemple, si j'entends dire "Un chirurgien pratique des excisions génitales "propres" pour éviter aux petites filles d'être mutilées sur une table de cuisine", je n'ai pas besoin de savoir si c'est vrai ou non pour m'interroger sur le geste lui-même. La question mérite, à elle seule, d'être débattue.
Tout comme l'idée qu'un patient puisse en toute lucidité lui demander à mourir doit faire réfléchir tout soignant – même si aucun patient ne lui a jamais rien demandé de tel.

S'interroger sur le sens d'un geste réel ou hypothétique, ça n'est pas le faire ou l'avaliser ; ça n'est pas même affirmer qu'il existe. C'est examiner ce que serait le monde (notre monde personnel, le monde en général) si l'on faisait ce geste et si l'on recommandait de le faire.
S'interroger est un processus indispensable pour comprendre le fonctionnement du monde.

Agonir, insulter ou dénigrer les personnes qui évoquent ce genre de pratiques est une violence qui n'apporte rien au débat, elle est seulement destinée à disqualifier ou à faire taire. Or, la volonté de museler n'a pas vraiment la cote en ce moment (Ben oui, on peut pas dire "Je suis Charlie" d'un côté, et de l'autre dire "T'as pas le droit de dire/croire ce qui se passe au bloc").

S'indigner qu'on "soupçonne" les enseignants de médecine de telles pratiques est, en soi, moralement problématique. Car l'indignation  ("Comment pouvez-vous nous soupçonner... ?") n'est pas une protestation d'innocence, c'est une posture de classe, un repli protecteur. Une accusation sérieuse mérite une réfutation sérieuse, et non simplement le rejet méprisant que pratiquent couramment les hommes de pouvoir. Ne pas prendre un sujet comme celui-ci au sérieux, c'est manifester du mépris pour celles et ceux qui ont eu à coeur de le soulever.

Le but de tout soignant, c'est de soigner - et de protéger les patients. Tout est secondaire à ça. Par principe, un soignant doit se mettre du côté du patient, et donc examiner tout ce qui est susceptible de lui nuire, et l'empêcher. Il ne peut pas partir du principe que "ça ne peut pas arriver" parce que (par exemple) "la profession est insoupçonnable". Aucune profession ne l'est.


Alors, vous qui vous interrogez sur ces gestes, leur signification et leur réalité, si l'évocation d'examens gynécologiques sur patientes endormies non consentantes suscite chez l'un de vos interlocuteurs un déni indigné ou des cris d'orfraie, sachez que cette réaction est avant tout épidermique et émotionnelle, ce n'est pas une réaction de personne qui argumente – ou même, tout simplement – qui réfléchit. Indigné ou non, le déni n'est pas - il n'est jamais - un élément de discussion. 

C'est juste un refus de penser et de débattre. 
Autrement dit : le contraire d'une attitude professionnelle, d'une position éthique, ou d'un échange. 


Marc Zaffran/Martin Winckler


NB : Si vous voulez savoir ce qui se fait (et ne se fait pas) ailleurs dans le monde, sur le même sujet, cet article-ci vous en donne un aperçu.